L’outrage fait à Sarah Ikker
Recommandation lecture de Rita Dro.
Rita Dro est journaliste indépendante, blogueuse à Droville.com, chargée de communication et présidente de l’association Notre Boîte A Livres.
L’infidélité de toute Sarrah…Ikker
Cette fois, c’est au royaume chérifien, hors de son Algérie chérie que l’écrivain Yasmina Khadra, l’un des auteurs les plus lus et traduits au monde nous embarque avec son avant-dernier roman, sorti en août 2020 aux éditions Julliard intitulé : « L’outrage fait à Sarrah Ikker ». Une tragique histoire d’amour, sous fond de polar, entre Driss et Sarrah Ikker, deux jeunes tourtereaux dont l’amour n’a pu résister au feu de l’infidélité féminine, l’un des tabous, l’une des grosses abominations au pays marocain, en particulier, et dans les pays magrébins en général.
La fatidique nuit du 8 au 9 avril
Rentré plus tôt que prévu d’une mission, Driss, jeune lieutenant, tombe sur l’horreur : son épouse Sarrah est toute nue, menottée et violée. La fatidique nuit du 8 au 9 avril devient alors l’énigme à résoudre, l’enquête de carrière, l’obsession pour Driss au détriment de sa victime d’épouse et de la stabilité de son couple. Au commissariat, l’enquête est piétinée au même titre que l’honneur d’Ikker. De fil en aiguille, le jeune déshonoré découvre la laide et triste vérité. Ce qui se présentait comme un viol était en fait, une scène d’amour entre deux adultes consentants, son épouse Sarrah et son patron, le commissaire Rachid Baaz.
Un thriller réussi
Dans ce 237 pages, Yasmina Khadra débute par une scène de désolation et fini par une autre. Le personnage principal, Driss Ikker, retrouvé à mi-chemin du coma éthylique pour noyer sa peine, en début d’histoire, se retrouve la tête prise entre ses deux mains tombant à genoux face à la scène de suicide de son épouse.
Suspense du début à la fin, au fil des pages, dans un style d’écriture fluide, simple et digeste relevé par la touche poétique de l’écrivain. Sarrah, fille de la bonne société tangerine joue le rôle de la parfaite victime dans sa phase dépressive, prise entre larme et questionnement. Elle emmène le lecteur à se prendre de compassion pour elle. Driss, fils de prolétaire, parvenu dans les hautes sphères de la police grâce à l’aide de sa belle-famille, campe ici le rôle du méchant, l’intransigeant, l’orgueilleux et l’insensible époux, incapable de soutenir sa bien-aimée dans cette phase sombre pour toute victime de viol. Le lecteur finit par lui en vouloir. Un sentiment qui finira par changer au fil des pages, pendant le dénouement de l’enquête. Petit à petit, Driss fini par prouver au lecteur la légitimé de son poste de lieutenant et sa place dans la police par la résolution de cette enquête ; résolue finalement avec ses propres moyens.
La jalousie des collègues, la suspicion, les clans, les masques, les vaillants travailleurs et les ripoux, la corruption tout le traditionnel décor des commissariats est planté pour nous faire aimer cette histoire d’infidélité dans un Maroc peu décrit par Yasmina, l’éternel amoureux d’Algérie.
L’épineuse question de l’infidélité « féminine » dans le mariage arabe
S’il y a une valeur avec laquelle les familles magrébines ne badinent pas, c’est bien l’honneur. D’un point de vue étymologique, l’honneur, « hurma » vient de « harem » (l’interdit, l’inviolable.). La maison, espace intime des femmes, s’appelle aussi la « hurma » ; c’est-à-dire l’espace sacrilège qui concerne l’honneur moral. « Au Maghreb, Les femmes contribuent à sauvegarder l’honneur moral dont les hommes sont exclusivement les principaux acteurs. » – tiré du code de l’honneur.
L’honneur est strictement lié à la sexualité féminine, à la protection de la « hurma » qui n’est pas restituable en cas de perte. Plus que la sexualité masculine, la sexualité féminine doit être contrôlée puisque, contrairement à la sexualité masculine, elle entraîne des conséquences sociales directes et peut nuire à la cohésion du groupe patrilinéaire. En effet, la sexualité féminine se confond avec l’honneur de la famille et du groupe. Et la souiller est impardonnable. Plusieurs crimes de l’honneur sont commis en raison de cette faute « lourde ». Selon l’ONU en 2006, il y en aurait 5000 par an.
Une question cruciale sur laquelle Nina Bouraoui, Leïla Marounane et Malika Mokeddem, toutes écrivaines algériennes reviennent dans leurs œuvres respectives : « La voyeuse interdite », « La jeune fille et la mère » et « L’interdite ». Elles dénoncent et résistent à leur façon, par voie de lettres, les mécanismes discriminatoires de l’honneur que soulève de façon subtile « L’outrage fait à Sarrah Ikker » de Yasmina Khadra.