Du cabinet d’assurance à la scène : parcours d’une reconversion réussie
« A l’origine je suis assureur, pour gagner mon pain comme on dit. »
Tehui est avant tout un auteur compositeur interprète franco-ivoirien, qui fusionne son rap à différents genres qui l’inspirent comme le Jazz, la soul, le reggae et les rythmes africains.
Entrevue avec l’homme Tehui, observateur de la société ivoirienne dans laquelle il évolue et témoin du métissage culturel dans lequel il a grandi.
BM : Bonjour ! Tehui, en bref, c’est qui ?
Tehui, c’est un artiste rappeur franco-ivoirien. Artiste rappeur, mais fou de musique, fou d’art, fou de culture et de partage.
BM : Peux-tu nous présenter 5 moments clés de ton parcours ?
1.
Ma rencontre avec Kim, Mathieu Garillon. C’est un compositeur et ami que j’ai rencontré à Montpellier, lors de mes années universitaires. C’est lui qui m’a initié à la musique assistée par ordinateur. C’est lui qui m’a initié au rap d’un certain niveau ; au fait d’écouter de la musique de façon un peu plus profonde, de faire de la recherche, d’aller au-delà de ce que les médias nous montrent. En fait, il m’a donné envie de rapper. Là, il ne s’agissait plus de rapper les morceaux de personnes qu’on connaissait, mais les nôtres.
2.
Mon retour en Côte d’Ivoire et ma rencontre avec Nunshak. Quand je rencontre NunShack, c’est lui qui me donne envie de reprendre la musique puisque quand je rentre à Abidjan, je suis déconnecté. Je n’ai plus vraiment d’amis. La plupart de mes amis sont en Europe. Donc quand je rentre, j’arrête le rap et je me contente juste d’aller regarder des spectacles en live. NunShack, quand je le rencontre, je vois qu’il est beatmaker et je lui dis que je rappe. Il me propose d’essayer un truc et du un truc, ça a donné tout ce que vous avez vu par la suite.
3.
Ma première véritable grosse scène professionnelle. C’était au festival ABIJAZZ, organisé par Gérard Konan et son collectif ABIJAZZ. C’est un festival avec plusieurs jeunes groupes de jazz, avec des jeunes musiciens et j’étais le seul rappeur invité pour cet évènement-là. Je suis venu avec un orchestre et nous avons proposé des compositions très inspirées de jazz, alors que je n’avais encore sorti aucun album, ni projet.
4.
La sortie de mon premier album en avril 2017, « Itinéraire d’un gars (a)normal ». C’est vraiment un moment clé parce que c’est l’aboutissement de plusieurs années de travail, de passion. Ça change tout, quoi !
5.
La première fois que j’ai fait un concert en dehors de mon pays. C’était un festival, à Cotonou, au Bénin. Et donc, c’était la première fois que je jouais ma musique devant de « véritables » inconnus, où des gens d’un autre pays découvraient ma musique. Cette interaction avec des étrangers, c’était formidable.
BM : Quelle est ta vision d’une carrière musicale ici en Côte d’Ivoire ?
Une carrière musicale en Côte d’Ivoire, c’est déjà une carrière musicale un peu partout.
C’est de plus en plus difficile parce qu’aujourd’hui, dans les métiers de l’art, il y a de moins en moins de producteurs, la musique demandant beaucoup de moyens.
La musique demande de gros investissements pour tout ce qui est production ; c’est-à-dire création de musique, création de visuels, promotion, organisation de scène. Et ces moyens-là se font de plus en plus rares ; contrairement aux années phares, où l’industrie du disque cartonnait avec l’appui de maisons de disques, à la recherche de nouveaux talents. Aujourd’hui, l’industrie a beaucoup changé avec Internet. Donc, la consommation a changé.
Il y a de plus en plus de streaming et le streaming rapporte très peu aux artistes. Donc, une carrière musicale dans un contexte mondial déjà difficile ; en Côte d’Ivoire, c’est encore plus compliqué puisque la monétisation n’est pas la même. En Côte d’Ivoire, pour développer une carrière dans la musique, il faut déjà avoir les capacités d’être indépendant. Indépendant, ça veut dire en autoproduction. Le modèle qui a marché dans les années 80-90 en Côte d’Ivoire et même début 2000, où un artiste talentueux cherchait un producteur. Pour moi, ce modèle est mort. Il faut aujourd’hui, pour l’artiste, trouver des moyens de financement, soit par des activités qui génèrent des revenus. Soit par l’organisation d’une stratégie d’attaques de scènes vraiment efficace pour évoluer dans sa carrière musicale
BM : De manière plus générale, comment utiliser les arts et la culture comme vecteur de développement sur le continent ?
L’un des grands problèmes du continent, se situe au niveau de l’éducation : on constate que les moyens ne sont pas mis dans l’éducation, même si les écoles sont là. On pourrait même presque se dire que c’est une volonté politique de refuser que la jeunesse accède à un certain savoir. Et si on remarque bien, tout ce qui est arts et culture éveille l’esprit et attise la curiosité. Je pense que les arts peuvent intervenir dans ce sens-là. Lorsque vous introduisez les arts dans le système éducatif, comme la poésie, le chant, l’art, le slam, ça attise l’intérêt des jeunes. Mettre l’art dans le système éducatif peut envoyer les jeunes à être curieux et à se rapprocher un peu plus de la lecture. Parce qu’aujourd’hui, un beau texte de musique, de rap, de slam, une belle chanson, te demande certaines références, certaines figures de style. Et plus tu vas lire, plus tu vas être capable de faire de belles choses au niveau de cet art-là. Aujourd’hui, on ne lit plus en Afrique et un peuple qui ne lit pas, on sait très bien qu’il est voué à l’échec. Il ne remettra rien en question. Parce que quand tu es dans un prisme fermé et quand tu es vraiment limité dans ton cercle, dans ta vision tu ne peux pas avoir une ouverture sur le monde. L’art ouvre l’esprit.
BM : Peux-tu partager avec nous ce qui te motive ? Une chanson, une citation, une personne/personnalité, … ?
Il y en a beaucoup ! Mais il y a un bouquin que j’ai lu et le titre même du bouquin m’inspire. Le titre est “La vie en spirale”. L’auteur est Abasse Ndione. C’est un auteur sénégalais qui était prof à l’Université de Bordeaux, si je ne me trompe pas et qui est rentré maintenant à Dakar. C’est un écrivain fantastique. “La vie en spirale”, je vous le recommande. Je l’ai lu plusieurs fois et je ne veux pas “spoiler”, mais ça m’inspire. Et de temps en temps, sans même lire le livre, en regardant seulement la couverture (il est sur ma table de chevet), je souris. Je regarde la couverture et je me rappelle du récit et des personnages, parce qu’il y a pas mal de leçons de vie dans ce roman-là sur les coups de la vie. Je n’en dirai pas plus. Ça m’inspire beaucoup dans tout ce que je fais.
BM : Si les lecteurs souhaitent entrer en contact avec toi, quel est le meilleur moyen de le faire ?
Je suis très connecté sur mes pages Facebook, Instagram et Youtube. C’est la même chose sur Gmail et éventuellement mon numéro. J’ai un numéro professionnel WhatsApp que je peux vous transmettre. Je suis très réactif sur ces canaux-là.
BM : Merci Tehui !
Merci à vous. Bonne continuation!